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Portrait Vic
9 août 2010

Critique d’art presse papier sur la peinture et Vic

  Nous avions pris rendez-vous par téléphone dans un café, Vic trouve ces endroits typiques de Paris. Elle s’excuse en riant que réduire Paris à ses cafés est injuste et caricaturale. Mais un jour, on lui a demandé ce qu’elle préférait à Paris, elle a répondu « ses cafés », alors elle s’en tient là. C’est plus simple. Cette petite conversation téléphonique m’avait rappelé la Vic que je connaissais : polie, se moquant d’elle et de son image mais trop intelligente pour se persuader que vous êtes là par politesse. Si je n’avais pas été une vieille dame qui a perdu sa capacité à s’étonner, je me serai laissée contaminée par sa fraîcheur. Mais je fréquente depuis trop longtemps le cynisme. Ce jour-là, j’aurai pu l’oublier grâce à Vic.
        Elle est arrivée et nous sommes entrées dans le vif du sujet.
Quand on lui demande pour quoi elle peint, Vic s’anime, parle et puis se tait : tout ce qu’elle a à dire se bouscule pour sortir en même temps. Dans ces moments-là, elle ressemble plus que jamais au portrait de JF, le 7e : l’enfant émerveillé, ce sont ses mots. Mais ce n’est pas son préféré. En fait elle commence à en avoir assez qu’on lui parle des portraits, elle a peint tellement d’autres tableaux. Pourtant elle reconnaît que c’est la partie de son œuvre qui lui est la plus proche. Il est évident que l’œuvre de Vic ne peut se réduire à ses portraits. Tous ceux qui ont vu sa première exposition à New York intitulée « Funerals  (Childhood) », Enterrement (enfance), en sont persuadé. Mais comme elle le reconnaît elle-même, elle s’est fait connaître du grand public par ces portraits. On peut bien lui dire que le cinéma et la musique y ont contribué aussi, elle répond que maintenant, certes, on la reconnaît dans la rue, et encore, c’est rare !, mais grâce aux portraits, c’est sa signature qui est reconnue ! Ca la fait rire. Elle reste réaliste, le succès trop rapide s’éteint vite. Pourquoi Vic peint ?
        Elle cherche la meilleure réponse, à sa manière. « Avec la peinture, la sculpture aussi, il y a une confrontation à la matière : votre corps contre la toile ou la terre ou le marbre. J’ai l’impression d’exister, d’avoir une consistance, une présence physique dans ce combat contre la résistance de la matière. Dans le cinéma ou la musique, vous n’avez rien en face de vous. C’est impalpable, virtuel. Pour la musique, il y a bien sûr le contact avec l’instrument mais le résultat est invisible, éphémère. Il faut à chaque fois recommencer à jouer pour jouir de votre travail. Dans le cinéma, vous ne voyez pas ce que vous faites au moment où vous le faites, le metteur en scène vous aide mais c’est plus tard en voyant le film que vous connaissez le fruit de votre travail. Et vous n’avez pas forcément le résultat que vous espèreriez ! Et ce résultat est extérieur, externe, vous avez prêté votre corps à quelqu’un d’autre. L’actrice que l’on voit ne laisse apparaître que le personnage, où est l’artiste ? Je n’arrive pas à être très claire parce que je ressens plus que je ne comprends, je suis désolée. »
        On s’habitue très vite à suivre la pensée de Vic. Elle est peintre par son regard sur le monde : elle observe, elle picore, elle transforme ce qu’elle voit et le redonne par sa peinture. Elle n’agit pas sur le monde (« Il n’y a que les prétentieux pour se croire artistes et capables de changer le monde »). Elle, elle reste en retrait. Quand elle agit, elle modèle à coups de burins les objets et les choses parce qu’elle n’a pas le temps de prendre des gants. Elle peint parce qu’elle prend son temps, et son pied !, elle appartient alors au monde. Elle en parle très bien elle-même : « Quand je peints, tous mes sens sont en action. Je vois, je sens aussi l’odeur de la peinture et même ma propre sueur ! C’est bien mieux que de sniffer de la colle ! Je mets la musique à fond, j’écoute donc. Et enfin le toucher : je trempe mes doigts dans la peinture et parfois j’en ai jusqu’aux coudes, j’adore patauger dans les pots de peinture ! Alors je peints, comme après des ablutions, des rites religieux. Je prends mon pied, je suis en plein trip. Il ne faudrait pas grand chose pour que je tombe dans la drogue. J’ai peur qu’un jour la peinture ne me suffise plus, que m’arrivera-t-il alors ? Quand je peints, je ne pense pas. Je vois. Des couleurs, des explosions, des morceaux de corps. Et j’essaie de reproduire ces visions, de peindre quelque chose qui y ressemble le plus possible. Alors je réfléchis aux moyens, à la technique qui va m’aider. »
        Mais tout ça c’est du bavardage, la théorie comme le dit Vic, c’est le boulot des critiques. Je me mets donc au travail.
Il est difficile de construire une véritable synthèse de l’évolution artistique de Vic. En effet une grande partie de son travail reste inconnue, Vic ayant décidé de n’exposer  que certaines de ses œuvres. Mais, si l’on se réfère à ces expositions, on peut toutefois dégager une trajectoire qui à défaut d’être exhaustive, permettra de découvrir quelle « image » Vic nous laisse voir d’elle-même.
        Sa première exposition, Nursery Rymes and Nightmares (Comptines et cauchemars), était construite autour de comptines enfantines et chaque tableau avait pour titre une de ses comptines ou parfois un proverbe : Trois petits cochons, le diptyque : Si t’as faim, mange ta main et garde la deuxième pour demain, Le roi des marionnettes, La princesse folle, Le Chevalier borgne… Inutile de préciser que la plupart de ces comptines n’existent pas, sauf dans l’esprit de Vic, ce que suggère la deuxième partie du titre de cette exposition : Nightmares, Cauchemars. Ces personnages effrayants, d’autant plus venant d’une enfant de 9 ans, âge que Vic avait quand elle a peint tous ces tableaux, forment un peuple difforme et organisé autour du Roi des marionnettes. Ce tableau, placé par Vic au centre de la pièce, représente une cour de poupées de chiffons usées, de peluches abîmées et de pantins tombés à terre. A gauche siège le roi, un pantin de bois à peine en meilleur état que ses sujets. Son trône est un coffre en bois recouvert de graffitis comme ceux que les enfants gribouillent à 4-5 ans. Il n’est le roi que parce qu’il porte une couronne et les teintes majoritaires du tableau, beige et Sienne, affirment que son royaume est sur la pente décadente. Il n’y a aucune couleur éclatante, la couronne d’or est sale. Le roi semble écouter les doléances d’une marionnette détachée du groupe, pliée en deux dans une sorte de révérence. Tout est mort dans ce tableau : aucun dynamisme, ni mouvement, la scène se lit de gauche à droite, tous les personnages sont au même plan, le fond est flou, on ne distingue aucun décor, aucun meuble à part le coffre-trône. Le reste des oeuvres est dans la même ligne. Il semble que Vic en ait fini avec son enfance triste qui, sans être malheureuse, semble morbide.
        La deuxième exposition, Funerals (childhood) - Funérails (enfance), confirme cette impression. Si on retrouve les jouets comme personnages des tableaux, ils ne sont plus les pièces principales. Vic propose ici un panorama des lieux de son enfance et par-là même de la nôtre aussi. On visite ainsi Le Jardin, Le Garage à vélo, La Cour de récréation, La Classe et d’autres lieux plus personnels : Le bureau de mon père, Ma chambre, La salle à manger de Grand’Mère. Aucun titre significatif : ils ne font que décrire ce que l’on voit. On distingue comme un fil conducteur entre les œuvres : les poupées ou les peluches dans un coin de chaque pièce, comme abandonnés par l’enfant qui ne joue plus avec. Aucun être vivant, pas même un animal de compagnie, ni oiseau, ni insecte. Les teintes des tableaux sont plus variées mais restent ternes comme des journées grises pour les scènes extérieures ou des après-midis pluvieux pour les intérieurs.
Après cette exposition, qui a eu lieu un an après la première, un intervalle de trois ans s’écoule avant que Vic expose ses portraits. Elle refuse de parler ce qui l’a poussé au silence. Mais le fait que désormais elle expose des êtres humains uniquement tranche avec une telle vigueur sur ses débuts qu’il est facile de comprendre qu’elle a changé complètement. Pourtant, Vic, comme elle me l’avoua lors d’une autre interview, n’a pas cessé de peindre des tableaux plus tristes, mais nettement plus abstraits. L’absence de fond pour chacun des portraits, où seul le blanc de la toile contraste avec le sujet, nous aide à comprendre que l’enfant existe, enfoui derrière ces visages.
        Vic reste une artiste énigmatique. On peut gloser sur l’enfant qui a grandi, est devenue une adolescente, puis une jeune femme mais il est impossible de conclure parce que la majeure partie de l’œuvre est invisible, dans le sens que Vic lui a donné en refusant que quiconque voit ces tableaux, c’est-à-dire impossible à voir. Vic se protège. Pourquoi ? La réponse est contenue dans cette crise d’adolescence qui nous a privé d’elle pendant trois ans. Mais je me garderai bien de lui poser la question.
Nous parlons de pratique puisque la théorie, c’est fait. Je l’interroge sur sa méthode que l’on a pu apercevoir dans un reportage télévisuel, une rareté dont Vic m'a envoyé la cassette. De la part de Vic, ce n'est pas de la prétention mais une attention, cela m'aide à construire mes questions.
- On vous a vue dans ce reportage parler avec votre modèle. Est-ce une habitude ?
- Oui, mais la présence de la caméra a faussé mon discours… On n’est jamais vraiment soi-même devant une caméra…
Silence, j’attends qu’elle rajoute quelque chose en vain, puis je continue mes questions :
- Vous n’avez pas l’air de regarder votre sujet pendant cette conversation, on vous sent ailleurs.
- Détrompez-vous. Je fais semblant de ne pas la regarder pour installer un climat de confiance, pour l’amener à se dévoiler. Je pense qu’en restant distante, elle va croire qu’elle peut me parler comme elle veut, je ne m’en servirais pas, je ne le retiendrais pas. En fait, mes sujets doivent croire que je les écoute d’une oreille distraite, que je reste concentrée sur mes dessins, mais je les détaille, je retiens toutes leurs attitudes et ils bougent selon la teneur de leur propos, alors je provoque certains sujets de conversation pour apprendre quelle tête ils ont quand ils éprouvent certaines émotions. Au risque d’énoncer un cliché, le plus beau visage est celui de l’amour. Dans le reportage, je demande à cette femme si c’est difficile de jouer sous le regard de celui qu’on aime. Quand elle répond « non », elle a son plus beau visage.
        Vic est lancée et je me garde bien de l’interrompre. Il m’est arrivé de le faire et de le regretter, elle ne parle pas, elle réfléchit à voix haute, l’interroger revient à la faire redescendre parmi nous.
- Tout mon travail sur les portraits consiste à trouver la faille, la voir et la faire voir. Quand je peints des acteurs ou des actrices c’est plus délicat mais plus intéressant, ils se cachent, et j’échoue parfois. Dans ces cas-là, je contourne, je biaise. SS par exemple, il n’y a pas de faille, je ne l’ai pas vue, pardon. Alors je l’ai peinte comme on l’a rarement vue : en colère. Si j’étais allée au bout de mon raisonnement, je l’aurais peinte laide. Remarquez, en colère elle n’est pas au mieux. En tout cas, je ne pouvais vraiment pas la peindre nue, son corps est une arme, un instrument pour agir, se défendre. En plus, à ce moment-là de notre relation, je n’éprouvais rien pour elle. C’était une statue, un modèle inanimé. Parfois ça m’aide, d’éprouver quelque chose, j’utilise l’émotion pour travailler. Mais là, rien. Peut-être cela m’a rendu plus réceptive vis-à-vis de ses sentiments pour moi. Je ne l’avais jamais envisagé, je suis le peintre, c’est moi qui dois ressentir. Aujourd’hui, j’ai peint un autre tableau, plus proche de sa … sincérité ? de sa réalité ? Je n’ose dire vérité, je ne crois pas à ce mot.
        Et comme elle a fini de parler des portraits, elle sort un dossier. Elle l’ouvre et me montre des reproductions photo de ses dernières œuvres, une dizaine. Elle tente de m’expliquer sa nouvelle démarche. Elle appelle ça « la théorie des coins ». « Ca commence par une idée de papier cadeau. Je déteste les papiers cadeaux, on ne sait jamais ce que ça cache. Une de mes amies a une fille, pour son anniversaire, je lui ai acheté une poupée en tissu, je déteste les baigneurs en plastique, c’est froid, mortifère. Pour lui offrir, je mets la poupée dans une boite à chaussures que je recouvre de papier marron comme les enveloppes. Je m’aperçois vite que j’ai fait ce que je déteste : un papier cadeau  et personne ne peut deviner le contenu. Hé là, idée de génie ! Je peints la poupée sur le papier comme par transparence, une poupée tassée dans sa boite. Toute contente, j’offre ma boite mais la petite n’ouvre pas. Elle croit que la boite est vide, que c’est une blague ! Je suis obligée d’ouvrir moi-même. J’ai laissé tomber l’idée du papier cadeau. J’ai retenu l’image de la poupée tassée dans la boite. Ca a donné des aquarelles sur fond marron, avec un fond de boite, avec 4 coins, puis 3, puis 2, puis un seul. L’objet change, (elle étale les feuilles, les indique du doigt), il est posé à terre puis contre le mur, ou il est suspendu. J’ai changé de perspective : vue d’en haut, d’en bas, de côté, droite, gauche… L’idée d’un seul coin s’est finalement imposée parce que c’est le symbole du repli sur soi, l’isolement, cet endroit vers lequel vous reculez, vous essayez de disparaître, de vous écraser. La boite était encore trop grande pour un corps. Un seul coin suffit pour un seul corps, un corps seul. Jusqu’à ce que je me rappelle que Vermeer lui aussi avait fait des coins. Modestement, je suis passée à autre chose. »
         Elle se tait. Elle sait quand s’arrêter. Dans son discours comme dans sa peinture, c’est une de ses qualités : aller jusqu’au bout de son exploration et s’arrêter avant de tourner en rond, avant de se retrouver coincée dans une impasse. A moi de réfléchir, de rebondir.
- La poupée de chiffon, c'est un retour aux marionnettes ou juste un hasard ?
- C'est un hasard, c'est pour ça que j'ai dessiné un corps de femme ensuite ... Je n'ai pas apporté ces dessins-là.
Elle se tait, elle hésite.
- Ma mère a vu ces dessins, avec la femme. Elle était tellement émue que ça m'a inquiété. Elle a réussi à m'expliquer que ça lui rappelait de mauvais souvenirs.

Je n'ai pas insisté. Vic semble décidée à ne rien dire de plus.

  - Pour passer à autre chose, ou plutôt pour revenir aux portraits, c’est la dernière fois promis ! Je n’ai pas eu le temps de vous demander pourquoi il n’y a pas de femmes brunes dans cette galerie ?
- Ouais, c’est vrai. (silence). Je ne sais pas. (elle secoue la tête) Non, je ne sais pas. Il faut que je réfléchisse.
        Là-dessus, elle me promets de me donner le fruit de ses réflexions par téléphone ou par écrit. Elle l’a fait : « Je crois que j’ai peur de trouver dans toute femme brune un reflet de moi-même. Je n’aime pas me voir dans les miroirs, alors me peindre ! »
- Et les hommes ?
- Oh, il y en a quelques-uns.
- Beaucoup moins.
- Ca va, ça vient. Je peints peu de personnes, en fait.
        Ca, ça veut dire que Vic en a assez de parler. Elle me demande si j’ai faim : il est presque midi. Elle m’invite à déjeuner, je refuse, j’ai d’autres projets. On se quitte en se promettant de se revoir. Je garde un sentiment de plénitude de cette rencontre : Vic m’a toujours beaucoup parlé mais j’ai l’impression qu’elle m’en a dit plus qu’auparavant. Elle a changé, encore ! Longue vie à toi, Vic.


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